Une famille ordinaire qui devient extraordinaire, dépassée par les événements historiques du début du XXe siècle. Début de siècle tragique pour beaucoup de Russes qui doivent quitter tout ce qui leur est cher pour commencer la navigation dans l'océan mondial de l'émigration russe. La famille Korchounoff n'est qu'une goutte dans cette immense flot.
Fils de Polycarpe Issidorovitch Korchounoff, Dimitri Korchounoff est né le 13 octobre 1876 à Pjatigorsk du (diocèse de Wladika). Etudiant, il suit des cours à la Faculté des sciences de l'Université de Saint-Pétersbourg. En désaccord avec la politique tsariste, il séjourne en tant qu'exilé politique en Sibérie (Irkoutsk) d'environ 1904 à 1907, puis il quitte la Russie pour se réfugier en Suisse (voir : Ms. fr. 9027, env. 12). On le retrouve à Lausanne, puis à Genève ou il fréquente, de 1907 à 1909, l'Ecole d'horticulture à Châtelaine.
Dimitri Korchounoff a un frère, Alexandre et trois soeurs : Anfissa (l'aînée), Maria (dite Manya) devenue Mme Tarakanova puis Dobrojanskaya et Varvara (dite Varya) devenue Mme Safronov. En 1871, leur père avait acquis une propriété à Piatigorsk dans la région caucasienne, aussi, lorsque ce dernier décède, les enfants héritent du domaine familial (voir : Ms. fr. 9027, env. 10 et 12).
En 1908, Dimitri Korchounoff se marie avec Avstra Kouznetsoff; nous ignorons les circonstances de leur rencontre. Avstra est née dans une famille de riches paysans; cependant nous ne savons pas comment cette famille était arrivée dans la région du Caucase du nord. Sa mère, qui était lettonne, avait enseigné le letton à tous ses enfants. Avstra a écrit des lettres à ses frère Kornelius (dit Koga) et César, ainsi qu'à ses sœurs Olga et Polina; quant à Zinaïd (dite Zina) originaire de Pskov (ville au nord de Russie), elle n'est probablement pas la sœur d'Avstra, mais plutôt l'épouse d'un cousin ou d'un autre membre proche de la famille, Karl Reinbah.
Dès son mariage, Avstra devint propriétaire des biens de son mari qu'elle cherche à liquider. En 1909 Avstra et Dimitri ont leur premier enfant – Jeanna (ou Jenya), née le 1er juillet à Voronej, sud de la Russie. En effet, Avstra préfère retourner en Russie pour accoucher car à Genève elle n'a pas de support familial et ne parle pas encore français. Elle revient en Suisse peu après avoir mis au monde son bébé: Jeanne. Quant à leur deuxième enfant, Isidore (Sidor, en russe) il est né en 1913.
Vers 1917 les émigrés russes commencent à recevoir des lettres circulaires expliquant la politique du nouveau gouvernement russe et les invitant à revenir dans leur pays. Les Korchounoff annoncent à leurs correspondants leur décision de renter dans leur pays. Mais les préparatifs sont longs : il faut vendre la récolte, remettre leur villa du Grand-Lancy, rassembler les fonds nécessaires, etc.
Ils sont encore à Genève lorsque la Révolution d'Octobre éclate. Pendant les mois qui suivent, ils ne reçoivent plus de nouvelles de leurs familles restées en Russie. Le courrier a non seulement du retard mais il est à nouveau censuré.
En 1920 Avstra Korchounoff décède suite à une maladie [?]. Dimitri se sent responsable de la mort de son épouse. Il ne se remarie pas.
Quant aux nouvelles en provenance de l'U.R.S.S., elles sont de plus en plus tristes : le frère et les sœurs de Dimitri Korchounoff sont tombés dans la pauvreté et ont perdu tout le patrimoine de leur père, saisi par des bolcheviks. Zina, proche d'Avstra, connaît le même sort : sa maison a été prise par le kolkhoze, et son mari, Karl Reinbah, est décédé.
Nous n'avons pas beaucoup d'informations concernant la vie de Dimitri Korchounoff après 1927, mais nous savons que son fils, Isidore Korchounoff, est devenu maraîcher et qu'avec sa sœur, Jeanna Korchounoff, ils ont habité au chemin des Verjus, Grand-Lancy, jusqu'au milieu des années 1980 environ (Isidore et Jeanne sont mentionnés tous les deux dans l'annuaire genevois de 1984; en 1985 et 1986, seule Jeanna est mentionnée et, à partir de 1987, il n'y a plus aucune mention concernant la famille Korchounoff. Restés célibataires, ils n'ont pas laissé de descendance).
Aux documents Korchounoff, formés essentiellement de correspondance et de quelques papiers personnels, était jointe une correspondance adressée à Anna Denissevitch. En effet, depuis 1911, la famille Korchounoff loue une villa et du terrain à Onex; mais comme le prix est trop élevé pour une seule famille, Dimitri, en accord avec la régie Clerc et Brolliet, sous-loue une partie de sa maison. Après avoir sous-loué à Ekaterina Skarjinskaya en 1912 (Voir : Ms. l. e. 300/3-4), on trouve Anna Denissevitch à Onex en 1915. (De 1914 à mars 1915, Anna habite Rue des Peupliers à Genève, à partir d'avril, son courrier lui est adressé à Onex). Un même intérêt politique rassemble toutes ces personnes; mais il semble que des dissensions se font bientôt sentir et que Mme Denissevitch quitte Onex après quelques années de cohabitation. Il est difficile de retracer la vie d'Anna Denissevitch; on peut seulement relever que sa correspondance conservée désormais à la Bibliothèque, couvre les années 1914-1915 et que de nombreux journaux portant son nom datent de 1915.
Notice biographique rédigée par Julia Petras, Françoise Pittard et révisée par Emmanuel Ducry.