6 mars 1929 Grand-Lancy - 17 février 1998 Genève
Fils d’Auguste-Adolphe Bouvier (directeur de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève de 1953 à sa retraite en 1959) et d’Antoinette Maurice, l’aînée du compositeur Pierre Maurice, Nicolas Bouvier reçoit une éducation raffinée entre les lettres à Genève, la musique à Allaman, la peinture, l’histoire, les langues, partout en Suisse au gré de ses lectures et de ses rencontres. L’enfant lit aussi, moins que les romans d’aventure, la Bible (sa mère y interprète le sens de chaque journée) mais il se détourne du culte (et sans doute de la foi) dès l’adolescence, préférant rêver sur les atlas à un futur tour du monde et s’abandonner à la fascination d’un Orient dédaigné par l’entourage. Dès 1945, il élargit le cercle d’évasions que son père encourage : l’Europe méditérranéenne, nordique (Laponie, 1948) l’Afrique du nord (1950), les Balkans et Istanbul (1951). Le jeune homme cherche à inventer un «art de la vie» avec le compagnonnage d’un ami cher (le peintre Thierry Vernet), entre errance et création, journalisme et poésie – chaque périple inspirant les premiers textes personnels et quelques articles publiés, en prélude au grand départ.
A l’été 1953, Nicolas Bouvier termine ses études (double licence, droit, lettres) et prend la route de l’Asie au volant d’une Fiat topolino avec Thierry Vernet, pour éprouver le monde et s’y user, dans ce mode de vie plus intense et plus lyrique qu’il avait imaginé depuis l’adolescence. Cette longue traversée (1953-1956) qui fut aussi une expérience créatrice (expositions de peinture et dessins de Thierry, photographie, prise de sons, écriture de nouvelles et conférences de Nicolas, «performances» artistiques communes), mènera le duo, via des séjours en Iran et en Afghanistan (1954) jusqu’au Sri Lanka (1955), puis Bouvier jusqu’au Japon, qu’il quittera pour rentrer à Genève à la fin de l’année 1956, avec plus de mille et une nuits, plus d’un continent dans sa mémoire, et le rêve d’une oeuvre-monde...
Alors commencera le voyage de l’écriture : au prix d’une génèse douloureuse et lente (un quart de siècle entre l’île de Ceylan et le récit qui la met en scène), Bouvier va réussir à extraire de son périple la substance de trois livres, L’Usage du monde (1963), Chronique japonaise (1975) (avec le second séjour nippon de 1964-1966) et Le Poisson-scorpion (1981), mais sans obtenir de véritable reconnaissance littéraire (publication à compte d’auteur de L’Usage du monde en Suisse, échec en France jusqu’en 1985).
Voyager pour écrire : l’essentiel avait été accompli à vingt-sept ans! Ecrire pour voyager à nouveau : c’est une autre vie, ancrée à Cologny (maison familiale où la fameuse «Chambre rouge» verra s’épuiser nombre d’heures «alimentaires» sur la télévision romande, l’art populaire, les Boissonnas...) – une vie partagée avec Eliane Petitpierre, fille de Max, épousée en 1958, mariage heureux qui verra naître deux fils – une vie menée cahin-caha dans la course aux contrats de documentaliste et d’«iconographe». Le voyage est souvent plus pensé que vécu, son manque, ou les difficultés à «diriger les dons qu’il prodigue» (comme en Indonésie, 1970) mènent à la déréliction ou à l’alcool, manifestations d’une relation difficile entre le monde et soi dont la poésie du Genevois est alors signe et sublimation (Le Dehors et le dedans, 1982). Mais Nicolas Bouvier l’a en lui, le voyage, et nécessité fait loi : celle des allers pour voir (Corée, 1970, îles d’Aran, 1985) et des retours pour écrire (Journal d’Aran et d’autres lieux, 1990) ou des allers pour guider les touristes (Chine, années 80), et finalement pour se montrer soi-même (Amérique et Pacifique sud, années 80 et 90) quand la notoriété commence à poindre.
La décennie 90, apogée du travel writing, va offrir à Nicolas Bouvier une renommée littéraire croissante (en Suisse avec de nouveaux livres salués et des prix – Prix Ramuz, 1995 – en France avec des rééditions, des événements médiatiques où il apparaît en vedette, tel le festival annuel des «Etonnants voyageurs» à Saint-Malo, dans le monde avec de nombreuses traductions) à un moment, hélas, où le temps va entamer en lui un décompte accéléré. Thierry Vernet est mort en 1993, emportant leur jeunesse. L’écrivain-voyageur qui sera célébré à Tokyo en 1997, à l’Institut français, aura eu juste le temps de revoir celle-ci dans la figure du baroudeur inconnu qui parlait dans la même ville, en 1956, devant un parterre déjà subjugué – le cancer se déclare quelques mois plus tard et le terrasse en 1998.
Sa réputation (solidement établie de maître du récit de voyage) s’élargit dorénavant au critique, à l’épistolier (Correspondance des routes croisées avec Thierry Vernet, 2010) et au poète.
François Laut
Notice biographique rédigée spécialement pour la Bibliothèque de Genève, décembre 2010.